dimanche 8 octobre 2017

Alan Moore, Jérusalem : bilan des deux premiers tiers

Je viens, en terminant le Livre 2 de Jérusalem,  de passer le deuxième tiers de l'ouvrage. Moore a en effet divisé son texte en trois livres, chacun ayant son propre style de narration.

Alan Moore vu par Dave Sim dans Cerebus. ©Aardvark-Vanaheim
Le premier, intitulé "Les Boroughs", est constitué de nouvelles aux liens plus ou moins lâches.
Le second, "Mansoul", se déroule dans le royaume des morts et suit de manière linéaire le séjour qu'y fit l'un des personnages lorsque, à l'âge de quatre ans, il fut mort pendant une dizaine de minutes.
Si le récit est plus facile à suivre, il n'en reste pas moins que, tout au long de ces quatre cents et plus pages, on est baladé dans des lieux et époques qui n'ont qu'un lien ténu avec le réel et dont les descriptions détaillées sortent tout droit de la tête de l'auteur.

Et on touche là à une des limites du travail d'Alan Moore en tant qu'écrivain. Des témoignages laissés par les dessinateurs de comics ayant travaillé avec lui (cf. celui de Stephen R. Bissette dans Alan Moore, Tisser l'invisible aux Moutons électriques en 2010), il ressort que les scénarios qu'il remet à ses collaborateurs sont des textes touffus et denses dans lesquels il ne laisse aucun détail au hasard. Le dessinateur y trouve minutieusement décrits les lieux, les atmosphères et les émotions des personnages. Là où d'autres scénaristes transmettent un scénario plus ou moins élaboré, une esquisse des pages, en laissant toute latitude au dessinateur pour réaliser le travail de mise en page et de dessin, Moore veut marquer de son empreinte l'ensemble de l'oeuvre. On pourrait presque penser qu'il ne veut garder de ces dessinateurs que leur style graphique.

Il n'est besoin pour s'en persuader que de comparer Watchmen (dessins de Dave Gibbons) et The Killing Joke (dessins de Brian Bolland) : les mises en pages partagent la même complexité mais ne se retrouvent pas dans d'autres travaux des mêmes auteurs (Kingsman : Services secrets pour Gibbons ou Camelot 3000 pour Bolland).

On retrouve donc dans Jérusalem cette tentative d'épuisement par la description d'un lieu au travers tant de sa géographie que de son histoire. Le projet n'est pas nouveau mais me semble ici un peu vain du fait qu'une bonne partie de ce récit se déroule dans cette dimension parallèle du monde des morts où Moore fait appel à la foi du lecteur et où ce qu'il décrit ne peut être vérifié in situ.

Celà est d'autant plus dommage qu'aux alentours de la page 300, Moore nous livre une série de scènes dont le ton et le déroulement tranchent d'avec le reste du livre.
Abandonnant la pure description, il met en scène deux personnages, une matrone et une primo-parturiente. Ayant décrit l'accouchement et le dialogue qui se met en place entre ces deux femmes, il les fait se retrouver dix-huit mois plus tard lorsque la première vient effectuer la toilette mortuaire de la petite fille qu'elle a mise au monde.
On retrouve là un des thèmes qu'Alan Moore affectionne et a déjà illustré ailleurs (notamment dans Promethea ou Lost Girls) : l'éternel pouvoir du Féminin, la Femme comme pilier de la société et dépositrice des mystères premiers (la naissance) et derniers (la mort).
Ces passages sont chargés d'empathie et d'énergie. Ce sont ses convictions qu'il met en lumière et cette sympathie est aussi poignante que la dédicace portée en exergue de From Hell :

"This book is dedicated to Polly Nicholls, Annie Chapman, Liz Stride, Kate Eddowes, and Marie Jeannette Kelly.
You and your demise: of these things alone are we certain.
Goodnight, ladies."

 A bientôt pour la suite.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire