samedi 26 septembre 2015

Louis-Eugène Larivière, Eugénie-Paméla Larivière

Une fois n'étant pas coutume, je vous parlerai aujourd'hui d'un tableau.
Exposé au Musée du Louvre, il ne fait pas partie de ses incontournables ce qui vous garantit de pouvoir en profiter loin de la foule.

Pour le trouver, il faut monter des escaliers, marcher le long des couloirs, traverser des sections de sculptures, de peinture, d'art décoratif et lever la tête.
En effet, exposé en hauteur, son accrochage n'est pas des plus heureux. Mêlé à d'autres toiles de la même période, le début du XIXème siècle, il n'a au premier abord rien de particulièrement attirant : un portrait de jeune fille comme on en voit depuis le XVème siècle. Coupé à mi-corps, le buste vu de trois-quart face, le modèle est vêtu de blanc et nous fixe. Un rapide regard sur le cartouche semble confirmer le peu d'importance de l'oeuvre : "Louis-Eugène Larivière, Eugénie-Paméla Larivière, soeur de l'artiste."

Le couloir étant désert et cette aile du musée particulièrement calme, le visiteur est enclin à se poser plus de temps que nécessaire devant les toiles. On se met alors à regarder cette jeune fille, à lui rendre ce regard qu'elle nous adresse. Un regard curieux, vif, un peu inquiet mais cependant sûr de lui. Un regard en tous les cas bien loin de celui compassé, tranquille voire moqueur de la Joconde présente un étage plus bas. On s'approche alors de l'oeuvre. Notre regard descend du visage au vêtement : une robe de mousseline blanche proche de celle que David fait porter à Juliette Récamier dans une autre pose fameuse. La légèreté du tissu ainsi que la simplicité de la robe renforcent cette impression générale de fragilité et de virginité. Une impression qui s'avère trompeuse puisque la jeune fille est enveloppée dans un lourd tissu noir bordé d'un galon doré. Semblant avoir glissé de l'épaule droite, cette pièce d'étoffe apporte au tableau un ancrage et une chaleur qui viennent contrebalancer, infirmer et au final nier toute idée de fragilité.

Le fond est neutre et rien ne vient détourner notre attention du sujet. Cela fait d'ailleurs quelques minutes que nous sommes devant cette pièce et nous commençons à nous rendre compte que nous n'en avons pas encore fait le tour. Ce tableau au premier abord si anodin recèle bien des profondeurs.

Intrigué, on en revient au cartouche : "Louis-Eugène Larivière, Eugénie-Paméla Larivière, soeur de l'artiste."
Quelques lignes succinctes apportent plus d'informations :
"Deux inscriptions en haut du tableau identifient le modèle comme la jeune soeur du peintre (1804 ? - 1824). La douceur de l'expression et la délicatesse du modelé évoquent l'art d'un Prud'hon. Mort prématurément, l'artiste ne pourra donner la pleine mesure de son précoce talent."

"Mort prématurément" ? Mais encore ?
Né en 1801, Louis-Eugène Larivière est en effet décédé en 1823. Un an avant sa soeur.

Et là, les dates parlent d'elles-mêmes. Agé d'environ vingt ans, un jeune peintre fait le portrait de sa cadette. Le tableau n'a rien de romantique :  Eugénie n'est pas Atala ; il n'a rien de politique : Eugénie n'est pas Juliette. Il est bourgeois, destiné à finir accroché au mur de la salle à manger familiale ou dans le grenier poussièreux d'où un descendant lointain finira par le sortir pour en faire don à un musée.
Mais il est plus que ça : il est familial. Et familial au sens noble du terme. Ici, point d'affirmation de la lignée, de revendication d'héritage mais simplement un grand frère qui fait le portrait de sa petite soeur.

Et, de cette relation frère-soeur, il ne nous reste que cette trace : un portrait presque anonyme.
Du travail du peintre mort précocement et dont on ne sait de quelles oeuvres il aurait pu accoucher, il ne nous reste que ce témoignage d'amour fraternel.

Oublieux des douleurs cervicales, on relève la tête pour replonger dans ces yeux bruns.
Vient alors le temps de la seconde lecture de l'oeuvre. Tous les protagonistes ont disparu, l'histoire nous a été révélée et son sens nous apparaît sans fard : Memento mori.

Le tableau est romantique : Eugénie est Atala.

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